Elle est devenue, malgré elle, une sorte d’icône pour les féministes et la communauté LGBT. Et elle est maintenant l’une des très rares femmes peintres à avoir bénéficié d’une rétrospective au musée d’Orsay. Seule Berthe Morisot avait, avant elle, reçu cet honneur, il y a trois ans de cela, dans une époque marquée par #MeToo, où les musées sont désormais pointés du doigt lorsqu’ils affichent une programmation 100 % masculine.
Rendre « femmage » à Rosa Bonheur, c’est à la fois mettre en avant une femme, mais aussi une femme engagée, libre, forte, qui a marqué son époque et qui représente un modèle pour les femmes d’hier et d’aujourd’hui. Car, avant de tomber dans l’oubli, Rosa Bonheur était une véritable star à l’internationale, doublée d’une briseuse de codes. Cheveux courts et pantalon, « elle a eu une influence par l’image qu’elle renvoyait plus que par les œuvres » ; explique Leïla Jarbouai, commissaire de l’exposition qui lui est dédiée.
Sororité
Un exemple rapporté dans l’exposition est le testament qu’elle va léguer à Anna Klumpke, une jeune femme qui a 44 ans de moins qu’elle, mais qu’elle reconnaît, un an avant sa propre mort, comme une « sœur de pinceau ». Une décision qui va susciter l’ire de sa famille, mais Rosa Bonheur n’en a cure. « Elle n’en fait qu’à sa tête, elle érige ses propres règles », commente Leïla Jarbouai.
Ce n’est pas le seul exemple de sororité. Rosa Bonheur, qui avait une fortune immense, a tenu à reprendre l’école de dessin gratuite pour filles qu’avait créé son père. « Elle disait aux jeunes filles d’être têtues et ambitieuses », détaille Leïla Jarbouai. Elle avait aussi à cœur d’acheter les œuvres de jeunes femmes peintres pour encourager leur travail, selon son amie Virginie Demont-Breton. Et elle a bénéficié elle-même du soutien de femmes, à commencer par sa compagne Nathalie Micas, alliée d’une vie, et la mère de cette dernière, qu’elle installe toutes deux dans son château de By. Elles vont s’occuper « de la cuisine, de la basse-cour et des animaux », écrit Rosa Bonheur, de telle sorte qu’elle peut se consacrer à son art.
« Ce n’est pas un féminisme revendicatif »
Mais si la vie de Rosa Bonheur en fait d’elle un modèle féministe – parce qu’elle a lutté pour se faire une place dans un monde d’hommes et qu’elle a fait fi d’une partie des obligations et convenances liées à son sexe à cette époque – l’artiste ne s’est jamais revendiquée comme telle auprès du public. « Elle n’a pas fait partie des mouvements féministes mais a accepté de servir de modèle. Elle n’avait pas envie d’être catégorisée comme féministe. Ce n’est pas un féminisme revendicatif mais qui parle par sa vie et son œuvre », explique Leïla Jarbouai. Elle voulait avant tout démontrer « au monde entier que le génie n’a pas de sexe » selon Anna Klumpke, qui a rédigé sa biographie.
Dans un article qui lui est consacré dans le catalogue de l’exposition, Annie-Paule Quinsac, historienne de l’art et experte de l’œuvre de Rosa Bonheur, va même plus loin : « Le conservatisme politique qui était le sien, le respect de certaines conventions et de la hiérarchie sociale même, ainsi que son amour du luxe font que, toute tentative de voir en elle une rebelle, aboutissent à une lecture erronée. » L’historienne ajoute : « La “permission de travestissement”, qu’elle obtient de la préfecture de police et fit obtenir à Nathalie Micas à partir de 1857, a été vue comme une proclamation de cross- dressing. Il s’agissait en fait de considérations d’ordre pratique : passer inaperçu dans les foires aux bestiaux et pouvoir monter à cheval comme elle l’entendait. »
Point de rebelle, donc mais une « role model », comme le résume l’expression anglaise, et pas seulement pour les aspects genrés. L’exposition montre, d’abord et avant tout, à quel point Rosa Bonheur aimait peindre les animaux, et son œuvre constitue une forme de plaidoyer écologiste avant l’heure. « Elle chassait, mangeait de la viande. Mais elle était sensible à la protection des animaux et de la forêt. Elle fut très tôt membre de la SPA. Elle a illustré des livres contre la maltraitance animale », énumère Leïla Jarbouai. En bref, comme le résume la commissaire d’exposition, elle « parle à notre époque ».