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Pourquoi la France a-t-elle décidé de se retirer ?

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C’est un texte qui date de 1994, à la sortie de la Guerre froide, et qui semble aujourd’hui à contre-courant de tous les engagements pris par l’Accord de Paris sur les énergies fossiles. Le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) est l’objet de la fronde du Haut conseil pour le climat ainsi que de celle de nombreuses ONG (organisations non gouvernementales) de défense de la planète. Emmanuel Macron a annoncé vendredi que la France en sortait, estimant que ce retrait était un « point important demandé par beaucoup ».

« Il n’y avait pas d’autre option possible », a réagi auprès de 20 Minutes Yamina Saheb, ancienne responsable de l’unité efficacité énergétique au secrétariat du TCE, auteure au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). A quoi sert ce traité ? Pourquoi est-il problématique ? Et pourquoi la France y renonce ? Explications avec celle qui est également chercheuse en politiques climatiques.

En quoi consiste le Traité sur la Charte de l’énergie ?

S’il date de 1994, le TCE n’a été appliqué qu’à partir de 1998. A l’époque, il avait alors pour objectif de protéger les investissements dans les pays d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS. Pratiquement inchangé depuis près de trente ans, il continue à « protéger les investissements étrangers dans la production, l’exploitation et la distribution de toute source d’énergie confondue », à savoir aussi bien le renouvelable que l’énergie nucléaire et les énergies fossiles, résume Yamina Saheb, qui alerte depuis quatre ans sur les obstacles qu’engendre l’adhésion à ce traité.

Cette protection se traduit par la possibilité pour les investisseurs d’attaquer devant des tribunaux privés les gouvernements qui changeraient une loi énergétique touchant à leurs intérêts. « Au début, c’était nos compagnies qui s’en servaient pour protéger leurs investissements à l’étranger, explique Yamina Saheb. EDF a par exemple attaqué la Hongrie, qui n’était pas encore membre de l’Union européenne (UE), quand elle a décidé de fixer les tarifs de l’électricité pour lutter contre la précarité ». Et donc, « à cette époque, ça ne gênait personne », ajoute la spécialiste du traité.

On compte environ 150 litiges évoquant le TCE, affirme Yamina Saheb. Un nombre possiblement sous-estimé sachant qu’il n’existe aucune obligation de la part de l’Etat ou de l’investisseur de communiquer sur ces plaintes. Aujourd’hui, 53 pays dont l’ensemble des Etats membres de l’UE, et l’Union européenne en tant que tel, sont signataires du traité.

Pourquoi ce TCE est-il problématique ?

Le problème apparaît limpide à l’heure où l’UE tente de s’entendre sur une régulation des tarifs énergétiques. « Si on instaure aujourd’hui un coût réglementé de l’énergie, l’Union européenne pourrait être attaquée », souligne ainsi Yamina Saheb. Même chose en ce qui concerne le renouvelable. Alors qu’aujourd’hui le coût de la technologie permettant l’installation de ces énergies dites « propres » a baissé, certains gouvernements entendent diminuer leurs subventions. C’est ce qu’il s’est passé en 2011 en Espagne, pays qui avait attiré « un grand nombre d’investisseurs étranger » dans ce secteur. Lorsque Madrid a voulu baisser ses subventions, plusieurs entreprises avaient porté plainte… finalement sans succès, le tribunal estimant que « l’Espagne avait respecté ses obligations au titre du TCE et que les recours présentés par des investisseurs allemands étaient sans fondement », rapporte le site Billateral.org.

L’autre point noir concerne les énergies fossiles. Ainsi, les investisseurs du fossile peuvent freiner toute tentative de l’Etat à légiférer pour diminuer le recours aux énergies fossiles, principales émettrices de carbone et principales responsables du réchauffement planétaire et du changement climatique. « L’objectif de neutralité climatique est synonyme d’un arrêt prématuré des énergies fossiles et concernant cet objectif, les pays vont être attaqués par les investisseurs », insiste Yamina Saheb. Dans ce cadre, le TCE est aussi pointé du doigt par les scientifiques du Giec : « les accords internationaux d’investissement peuvent entraîner une “frilosité réglementaire”, qui peut conduire les pays à s’abstenir ou à retarder l’adoption de politiques d’atténuation, telles que l’élimination progressive des combustibles fossiles », écrivent ainsi les auteurs du troisième groupe de travail, publié le 4 avril.

Enfin, ces attaques contre les Etats mettent en lumière la perte de souveraineté des pays signataires dans leur lutte contre le changement climatique. « Imaginez un monde où les grandes marques de cigarettes recevraient des milliards d’euros de dédommagement de l’Etat – et donc des contribuables –, au motif que celui-ci a décidé d’interdire la cigarette dans les lieux publics. Difficile à accepter ? Et pourtant, appliquée aux énergies, et notamment aux fossiles, cette règle existe bel et bien », illustre ainsi une tribune publiée dans Le Monde en juin dernier. « Quand on est signataire, on perd notre souveraineté sur notre politique énergétique, ce sont des investisseurs étrangers qui décident de nos politiques, abonde Yamina Saheb. Et on ne peut pas laisser le secteur de l’énergie être géré par les investisseurs étrangers ».

Pourquoi la France a-t-elle choisi de sortir du TCE ?

Dans un avis publié le 19 octobre 2022, le Haut conseil pour le climat a appelé Paris et l’Union européenne à se retirer du traité. Avant lui, plus de trente ONG ont, cette semaine, interpellé plusieurs ministres français pour les mêmes raisons. C’est pourquoi, ce vendredi, le chef de l’Etat a annoncé le retrait de la France du TCE, « un point important demandé par beaucoup ». « Dans le moment que nous vivons, nous devons plutôt concentrer nos investissements et aller plus vite sur les renouvelables, l’efficacité énergétique, le nucléaire (…) et aujourd’hui, je regarde avec inquiétude revenir les hydrocarbures et les énergies fossiles les plus polluantes, a encore fait valoir Emmanuel Macron. Il ressort de plusieurs cas récents que [le TCE] conduisait à des mécanismes un peu spéculatifs et à des indemnisations importantes de certains acteurs des énergies fossiles. »

« C’est fini ! Maintenant il reste une procédure technique d’application qui peut mettre un peu de temps. Mais j’aurais quand même rêvé d’une France qui prenne le leadership », confie à 20 Minutes Yamina Saheb, rappelée juste après l’annonce d’Emmanuel Macron. Reste que si plusieurs pays avaient devancé Paris, (l’Italie est partie dès 2016, quand l’Espagne, les Pays-Bas et la Pologne ont récemment annoncé s’en retirer), la décision française devrait avoir un effet domino : « désormais une dizaine de pays vont suivre dans et hors de l’Union européenne, beaucoup attendaient la décision de la France », prédit en effet notre experte, qui avance qu’une sortie de l’Allemagne est dans les tuyaux.

Le 22 novembre, des ministres des pays membres vont d’ailleurs se réunir pour accepter ou refuser les conclusions de nouvelles négociations autour du traité. L’occasion de refaire le point sur cette « clause de survie » qui prévoit que le traité puisse s’appliquer encore vingt ans après le retrait d’un pays signataire… Et l’occasion pour la France de confirmer son retrait du traité puis pour les autres pays signataires l’Accord de Paris et du TCE de faire un choix.

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