Tirer les enseignements de la gestion des feux de l’été en Gironde. Plusieurs élus, des représentants de l’Etat, de la Sécurité civile, et des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours) de la Gironde et des Landes, se sont réunis ce vendredi à la préfecture de Bordeaux, pour dresser un premier bilan de ces feux qui ont détruit 30.000 hectares de forêt entre juillet et septembre en Gironde.
« C’est la première fois en France que nous étions confrontés à deux incendies de cette taille en même temps » rappelle la préfète Fabienne Buccio, faisant référence aux feux de Landiras et de La Teste-de-Buch, qui ont éclaté en juillet. « Mais la mémoire humaine ne dure pas, poursuit-elle, il faut inscrire des choses dans le marbre, pour ne pas oublier. » Voici ce qu’il faut retenir des premières pistes de réflexion dressée ce vendredi.
Y a-t-il eu défaillance dans la stratégie mise en place ?
Cela fait plusieurs semaines que quelques sylviculteurs, remettent en cause la stratégie adoptée cet été pour lutter contre les incendies, accusant le commandement des pompiers d’avoir laissé filer le feu en forêt.
« Dans la doctrine nationale, il est prévu d’effectuer une attaque des feux naissants, et ça a été appliqué en Gironde comme dans tous les départements de France, soutient sans ciller Marc Vermeulen, directeur du Sdis de la Gironde. On parle des quatre feux qui ont ravagé la Gironde cet été [les deux feux de Landiras, celui de La Teste, et celui de Saumos en septembre], mais on ne parle pas des 620 autres qui ont été éteints rapidement. C’est bien la preuve que la stratégie est efficace, malgré le bilan en matière de surface brûlée. »
« Les directeurs des Sdis de la Gironde et des Landes, ont pu comparer leurs méthodes, et on a bien vu que c’étaient les mêmes, il n’y a eu aucune différence dans le traitement des feux entre les deux départements » lance pour sa part la préfète Fabienne Buccio, agacée par la polémique. « Le fait qu’il y ait des questions c’est normal, tempère Marc Vermeulen, et nous allons expliquer aux sylviculteurs la situation opérationnelle. On n’a rien à cacher, et on peut montrer ce à quoi on a été confronté cet été. En raison de phénomènes météorologiques très particuliers, nous avons observé des départs de feu d’une intensité qui n’avait encore jamais été vue en Gironde. »
Face à des feux « d’une telle violence qu’on n’arrivait pas à les éteindre », Marc Vermeulen rappelle la décision de mettre en place des « feux tactiques », qui consistent à brûler volontairement des zones avant l’arrivée de l’incendie, afin qu’il n’ait plus rien à consumer. « Quelque 40 km de linéaire de feux tactiques ont été mis en place cet été. » Si cette méthode est assez ancienne, une autre a été utilisée pour la première fois en France, celle des « zones d’appui. » Cela a consisté à « abattre des arbres pour avoir des points de rendez-vous où attendre le feu pour l’arrêter, ou du moins le contenir » explique le directeur du Sdis. « Cela va faire l’objet d’un retour d’expérience, mais à ce jour on peut déjà dire que ça a été utile. »
La gestion des personnes fragiles
Avec « moins de 1 % d’habitations détruites, et 50.000 personnes évacuées sans dommage, je le redis, le bilan est positif, martèle la préfète. Néanmoins il y a des choses que l’on aurait pu mieux faire » reconnaît-elle, et parmi elles figure la gestion des personnes fragiles. « On a dû évacuer des Ehpad, ça a été compliqué de trouver de la place pour tout le monde, et on s’est retrouvés face à des cas de personnes handicapées chez elles qu’il a fallu prendre en charge. Il faut qu’on réfléchisse pour anticiper davantage, et nous améliorer » sur les lieux d’accueil de ces personnes à évacuer en urgence.
La coordination avec les bénévoles
L’action des bénévoles de la DFCI (Défense des forêts contre les incendies), qui ont appelé en renfort des agriculteurs venus aider avec leur matériel, a aussi longuement été analysée. « Il se pose aujourd’hui la question de la coordination, explique Marc Vermeulen, car si les choses se sont faites naturellement et ont plutôt bien fonctionné, on a vu quand même cet été qu’il était important de savoir où étaient positionnées ces personnes. Avec les phénomènes météo on a eu des inversions de vent, et des bénévoles se sont retrouvés face aux flammes. Il faut donc avancer en termes d’identification, de recensement, et d’équipement. »
Fabienne Buccio prévient qu’à l’avenir, « il faudra que chaque commune établisse une liste des personnes qui pourraient prêter main-forte, dans le cadre de plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde. Les communes qui n’ont pas encore ce genre de plan, vont devoir en adopter un, pour une meilleure organisation. »
Une meilleure prévention
« Des lotissements au milieu de la forêt, ce n’est plus possible, prévient encore Fabienne Buccio. C’est trop risqué pour les pompiers, les habitations… » Si les plans d’urbanisme vont donc être scrutés à la loupe, la préfète s’est aussi longuement arrêtée sur l’obligation de débroussaillage, faite aux propriétaires de terrain situés à moins de 200 mètres des bois et des forêts. « Seuls 30 à 40 % des propriétaires le font au niveau national, estime Fabienne Buccio. Je ne pourrais pas envoyer un agent dans toutes les communes pour aller vérifier, en revanche, les cartes satellites pourraient nous permettre de voir qui le fait et qui ne le fait pas, nous sommes en train de regarder de quelle manière nous allons pouvoir nous en servir. »
Sur la question de la surveillance des forêts, « il n’y a pas eu de défaut de détection des feux cet été, assure Marc Vermeulen, mais il faudra mettre en place un système de vidéoprotection du massif sur la partie Gironde, qui viendra en complément de ce qui existe déjà dans les Landes. Cela nous permettra d’élargir les plages de surveillance, et d’avoir des images pour analyser le comportement des fumées, et faciliter ainsi la priorisation en cas de départs de feux multiples. » Les deux directeurs des Sdis, réitèrent par ailleurs leur demande de « prépositionner des moyens aériens pour surveiller la forêt des Landes, et agir plus rapidement sur les feux naissants. »
Quel avenir pour la forêt de La-Teste-de-Buch ?
Le cas particulier de la forêt de La-Teste-de-Buch, n’a rien à voir avec la forêt des Landes de Gascogne. Le statut juridique de la forêt usagère de La Teste est en effet unique en France, et remonte à 1468. Il y est notamment établi un système de « baillettes » accordant aux habitants alentour des droits d’usage, comme le droit au bois de chauffage, au bois d’œuvre pour construire leur cabane ou pour fabriquer leur bateau. Ce statut a perduré dans le temps, et il est aujourd’hui dans le viseur des autorités, estimant qu’à cause de ce régime spécial, la forêt n’est plus entretenue ce qui a favorisé la propagation des flammes.
« La fameuse nuit du 18 juillet, celle où ça a brûlé si fort, j’étais sérieusement inquiète pour nos pompiers, qui ne pouvaient pas aller chercher le feu, qui n’arrivaient pas à pénétrer dans la forêt, s’émeut Fabienne Buccio. Sans le drone, je pense qu’on aurait eu des dégâts humains. Ce ne serait pas responsable de laisser le statut de cette forêt comme il est, il faut poser la question du statut des « baillettes » qui n’est plus adapté. Qui va encore ramasser du bois pour se chauffer ? Qui va encore récupérer la résine des pins ? »
Quant aux anciennes cabanes, qui servaient autrefois aux résiniers, et qui font désormais partie du patrimoine historique de la ville, la préfète est aussi très claire. « Je demande au maire de ne délivrer aucun permis de construire pour la reconstruction de la quarantaine de cabanes qui a brûlé, parce que ce serait remettre du risque dans cette forêt. Leur sécurité est impossible à assurer. » « C’est une très belle forêt, exceptionnelle en matière de biodiversité, consent Fabienne Buccio, malheureusement elle a brûlé à 80 %. On va la laisser se reposer pendant deux ans, et on verra ce qui repart naturellement. » Ce qui n’empêchera pas de se pencher sur sa gestion en attendant.