Des sorciers ayant officié à Marseille, il est pour sûr le moins célèbre des deux. Assurément, habitants et supporteurs de l’OM connaissent Raymond Goethals, surnommé le « sorcier belge », qui porta le club de foot de la ville sur le toit de l’Europe un soir de mai 1993. Moins, en revanche, ont le souvenir de Louis Gaufridy, un curé marseillais qui finit porté sur un bûcher pour sorcellerie et y être brûlé vif une fin d’après-midi d’avril 1611.
Lorsque le jeune Louis Gaufridy descend de sa vallée natale du haut Verdon pour gagner Marseille et y officier comme prêtre en 1595, le Royaume de France s’apprête à tourner la page du massacre de la Saint-Barthélemy et de la guerre de religion. En 1598, Henri IV promulgue l’édit de Nantes qui acte de la liberté de culte, sur une partie du territoire, pour les protestants. Et en matière de liberté, il semblerait que le prêtre devenu le curé de la paroisse des Accoules, dont l’église située dans le Panier fut rasée à la Révolution, en pris quelques unes au sujet de son vœu de chasteté. Bien mal lui en a pris. Son charme fut son marchepied pour le bûcher. Du charme à l’envoûtement, il n’y a qu’un pas que franchirent aisément ses accusateurs.
« Des festins cannibales »
Son maléfice ? Avoir « possédé » deux jeunes femmes de noble extraction placées au couvent des Ursulines et dont Louis Gaufridy avait à charge de recueillir leurs confessions. Parmi elles, Madeleine de Demandols, venue d’une famille de haute lignée provençale pourvoyeuse de nombreux chevaliers, et dont l’état troublé inquiète la mère supérieure du couvent. Rapidement, et visiblement pas ignorantes au sujet des relations charnelles, celle-ci apprend que sa jeune pensionnaire a été séduite par Louis et la transfère sitôt au couvent voisin d’Aix-en-Provence en 1609.
« Là-bas, confessée par Jean-Baptiste Romillon, fondateur du couvent aixois, elle affirme que son offenseur est un puissant magicien qui a provoqué sa possession et l’a emmenée au sabbat, cette sinistre assemblée nocturne où les sorciers adorent le diable, s’accouplent et s’offrent des festins cannibales », résume Joris Astier, chercheur en histoire moderne, dans une publication de 2019 en s’appuyant, notamment, sur deux ouvrages rédigés par des contemporains de l’affaire. Rapidement, Louise Capeau, une seconde possédée du même couvent se manifeste et les deux jeunes filles sont envoyées au sanctuaire de la Sainte-Baume pour y être exorcisées par l’inquisiteur d’Avignon, Sébastien Michaëlis.
Les « possessions d’Aix » dépassent les frontières de la Provence
Le spectacle qui s’y donne « est un véritable théâtre » poursuit l’historien. Car la temporalité de ces événements est percutée de plein fouet par ceux de l’histoire de France. Le 14 mai 1610, Henri IV, roi de la « réconciliation » entre catholiques et protestants qui a promulgué l’édit de Nantes en 1598, est assassiné par un catholique fervent. Pour l’Eglise de France, c’est alors le moment de réaffirmer la supériorité du catholicisme sur sa branche dissidente. Et l’aubaine est belle avec cette bonne histoire de sorcellerie avec force démons et de marques du diable. Cela d’autant plus que les deux jeunes filles viennent de familles protestantes. « Tout tourne à la confirmation de notre sainte foi Catholique », écrit l’inquisiteur Sébastien Michaëlis dans L’histoire admirable, ouvrage publiée sur cette affaire peu après la mort de Gaufridy. Des propos rapportés par Jean-Raymond Fanlo, professeur de littérature à l’université d’Aix-Marseille.
Au sanctuaire de la Sainte-Baume, l’exorcisme change de nature à mesure que d’autres. « Il dénonce le sorcier, les turpitudes du sabbat, il accumule les indices accablants, les objets charmés au moyen desquels le sorcier s’introduisait dans les cœurs ; les “marques” sur les corps se découvrent. Verrine, le diable de Louise, passe au second plan, c’est Madeleine/Belzébuth qui occupe le premier. Les possédées se contorsionnent et font des gestes obscènes », observe le professeur. Ces « stigmates démoniaques », marques que le diable laisse sur les corps de ses partisans sont attestés par le médecin royal Jacques Fontaine, dépêché pour l’occasion, preuve que l’histoire de « ces possessions d’Aix-en-Provence » dépasse largement les frontières régionales. Le Parlement de Provence, haute cour de justice, s’empare de l’affaire en février 1611.
Brûlé vif, à Aix, devant une foule exaltée
Reste à obtenir les aveux de Louis Gaufridy, ce « prince de sabbat » qui fit de Louise et Madeleine ses princesses avec lesquelles il espérait engendrer l’antéchrist annonciateur du jugement dernier selon la croyance millénariste qui connaît un regain d’intérêt à l’époque. Emprisonné et interrogé pendant de longs mois, le curé des Accoules passe aux aveux. Oui, il espérait engendrer l’antéchrist. Oui, il est bien un « prince de sabbat ».
« J’avoue comme il y avait au sabbat douze prêtres et comme un chacun doit dire sa messe en son rang, lesdits prêtres sont assis au plus haut degré comme princes du sabbat », admet Louis Gaufridy selon des propos rapportés dans un ouvrage dédié à ses 53 confessions et publié peu après son exécution. Les deux tiers de ses aveux concernent les rites sabbatiques. « En ces temps de discorde religieuse, […] le mythe sabbatique fonctionne comme une contre-société secrète où les adversaires de Dieu s’organisent et complotent contre son royaume », analyse l’historien Joris Astier.
Le 18 avril 1611, Louis Gaufridy est déclaré coupable du crime de sorcellerie. Douze jours plus tard, il est brûlé vif devant une foule exaltée sur la place des Prêcheurs à Aix-en-Provence relate la chronique.
« Le sorcier cocufie »
Cette histoire de sorcellerie en Provence, singulière par l’ampleur qu’elle prit et un relatif anachronisme tant les procès en sorcellerie renvoient davantage aux XII et XIIIe siècles, traversa les âges. De nombreux ouvrages et y seront consacrés tout au long des siècles suivant et jusqu’à aujourd’hui dont la presse se fait écho et livre quelques bonnes feuilles.
« Messire Gaufridy n’avait jamais eu beaucoup de chance et il continua de n’en point avoir : la corde toute neuve dont le bourreau le voulait étrangler, selon la grâce que les juges lui en avaient faite à l’instance des Capucins, se rompit, qui fut cause qu’il fut brûlé vif, selon qu’il avait été prédit », rapporte ainsi le Journal des débats politiques et littéraires du 14 mai 1912, parution que l’on retrouve sur Retronews.
Soixante-cinq ans plus tard, le destin tragique de Louis Gaufridy passionne encore. Dans son édition du 22 octobre 1976, Le Monde livre une critique littéraire de Fontaine obscure, roman de Raymond Jean qui revisite ce procès en sorcellerie en histoire d’amour. « Dans les villages, la sorcière dévastait les troupeaux, gâtait les moissons, cousait l’aiguillette, faisait mourir les nouveau-nés. Dans les villes modernes, le sorcier cocufie », conclut Jean-Raymond Fanlo. Dans les deux cas, ça finit au bûcher.